Biographie de Luchino
Visconti

Luchino Visconti vers 1910

Luchino Visconti naît à Milan en 1906. Son père, Giuseppe Visconti est descendant de la famille des Visconti de Modrone, et sa mère, Carla Erba, est la riche héritière d'une famille d'industriels spécialisés dans la chimie. Luchino s'intéresse très tôt à la mise en scène de théâtre et d'opéra, et fréquente assidûment la Scala de Milan. Il envisage un moment une carrière de musicien. Ses parents se séparent en 1924.

Il fait son service militaire dans la cavalerie en 1926. Puis, à partir de 1928, il se consacre à l'élevage de pur-sangs et aux courses hippiques.  En 1933, il se rend en Allemagne. Les souvenirs de ce voyage lui serviront lors de la réalisation du film Les damnés. En 1934, il tourne un film, en amateur, en 35 mm, qui restera inachevé faute d'argent. Il sera néanmoins montré au producteur-réalisateur Alexander Korda, qui travaillait alors à Londres. Mais cela n'aura pas de suite.

Visconti se rend alors à Paris, et y fait connaissance avec Jean Renoir, Jean Cocteau, Coco Chanel... Il participe au tournage du film Une partie de campagne. Sur le tournage, il se familiarise avec toutes les composantes du cinéma, les éclairages, le son, ce qui lui permettra de toujours bien contrôler les problèmes techniques sur ses films, et de savoir obtenir le meilleur de ses collaborateurs. Il assiste aux évènements du Front Populaire et se rapproche d'idées de gauche. En 1937, il se rend en Grèce et à Hollywood. En 1939, il participe à la réalisation de La Tosca de Jean Renoir, en Italie. Mais le tournage est interrompu par la guerre. Renoir doit rentrer en France avant la fin du travail, et son assistant Karl Koch et Visconti terminent le film.

Dès 1940, Visconti participe à la revue Cinema, avec des intellectuels anti-fascistes comme Giuseppe De Santis, Mario Alicata, ou Gianni Puccini. Ce sont des membres ou des sympathisants du Parti Communiste clandestin, et ils veulent mettre en place un nouveau cinéma de nature réaliste, inspiré notamment du cinéma français des années 30, qui tournerait le dos aux spectacles fastueux et aux mélodrames qui constituaient le gros de la production cinématographique italienne de l'époque. Ils envisagent d'adapter au cinéma un livre de l'écrivain vériste Giuseppe Verga. Mais la censure les en empêche.

Ils se replient alors sur le roman américain Le facteur sonne toujours deux fois de James Cain, que Renoir avait recommandé à Visconti. Il réalise ainsi Les amants diaboliques en 1942. L'intrigue, récit Noir assez traditionnel, est transcrite dans une Italie misérable. Mario Serandrei, monteur du film, parla alors de néo-réalisme pour décrire ce cinéma si nouveau. Visconti envisage d'abord d'engager Anna Magnani (qui était alors une artiste de music-hall, dont les apparitions au cinéma se limitaient aux comédies) pour le rôle de Giovanna. Mais elle est enceinte au moment du tournage et on lui préfère Clara Calamai, jeune vedette du cinéma italien depuis 1938. A ses côtés, on trouve le jeune Massimo Girotti, à l'aube de sa longue carrière, qu'on allait voir la même annee dans le film d'aventures La couronne de fer (1941) de Blasetti. Réaliste et brutal, Les amants diaboliques fait scandale et est rapidement retiré de la circulation. Sous son aspect de film noir classique, mais situé dans un contexte social très original, il sera le point de départ du néo-réalisme italien. Sans être aussi abouti que les meilleures oeuvres de Visconti, c'est déjà un excellent premier film, dans lequel on trouve un sens plastique très sûr, une maîtrise de la narration et de la direction d'acteurs hors du commun, et, surtout, un admirable courage politique.

Visconti participe à la résistance en cachant des armes et des fugitifs. Mais il est arrêté et interrogé à la pension Jaccarino, où ont lieu des interrogatoires et des tortures particulièrement brutales. Visconti dira que lui-même n'a été que tabassé, alors que certains de ses compagnons sont torturés. Plus tard, il envisagera de faire un film à propos de ce lieu. Il est ensuite prisonnier. Il échappe de peu à la mort dans des massacres d'otages.

En 1945, pour le documentaires de propagande Jours de gloire, Visconti filme le procès et l'exécution de Pietro Caruso, directeur de la police romaine sous les fascistes. En 1946, il soutient le Parti Communiste. Mais, alors que Rome ville ouverte (1946) de Rossellini mène à maturité le néo-réalisme italien et récolte un grand prix au festival de Cannes, Visconti se tourne vers le théâtre, où il monte les oeuvres d'auteurs modernes (Cocteau, Sartre, Caldwell...).

En 1947, il se rend à Aci Trezza, en Sicile pour réaliser le premier segment d'une trilogie: La terre tremble. Seul le premier volet sera réalisé : l'épisode de la mer (les deux autres épisodes auraient du concerner des mineurs et des agriculteurs). Tourné avec très peu de moyens sur un site sauvage de Sicile, c'est un audacieux mélange de documentaire et de fiction, interprété par les pêcheurs du village, où un dispositif très expérimental accouche de la première des grandes fresques familiales de Visconti. Cet incontestable chef d'oeuvre dénonce la misère et l'exploitation qui sévissent dans ce coin reculé de l'Italie du sud. La film est accueilli au Festival de Venise par des sifflets, mais il recevra un prix. Il ne sortira en Italie qu'en 1950, dans une version mutilée, et ne rencontrera pas vraiment un succès public. Metteur en scène admiré au théâtre (il y monte encore Un tramway nommé désir, Oreste...), Visconti ne parvient pas à imposer ses projets au cinéma.

Il participe néanmoins à un projet de "magazine filmé" de Marco Ferreri, qui souhaitait alors lutter contre la médiocrité des actualités cinématographiques de l'époque. Visconti réalise pour cette occasion le court-métrage Notes sur un fait divers. Mais la censure italienne va encore avoir la main lourde, et la première de cette oeuvre aura lieu en France.

Puis, il se laisse imposer le projet de Bellissima, une comédie néo-réaliste comme il y a en avait alors beaucoup à l'époque, qui lui permet - enfin ! - de tourner avec Anna Magnani. Certes, le sujet est bien banal, et Visconti semble se contenter de capter avec admiration les éclats de cette diva romaine. Pourtant Bellissima est aussi une peinture amère du milieu du cinéma italien, ainsi qu'un regard désenchanté porté sur les méthodes du cinéma néo-réaliste.

Dans la foulée, il retrouve Magnani pour le film à sketchs Nous, les femmes, dont il réalise l'épisode consacrée à cette actrice, relatant, sur un ton léger, une après-midi sous le fascisme. Sympathique et très bien réalisé, il n'égale pourtant pas le superbe épisode consacré par Luigi Zampa à Isa Miranda.

En 1954, il réalise Senso, pour la grande compagnie italienne Lux, spécialisée dans les films à grand spectacles (on pense notamment aux oeuvres de Riccardo Freda). Il s'agit de la première reconstitution historique de Visconti. On lui impose (avec bonheur) les acteurs Allida Valli et Farley Granger. Ce film est assez mal accueilli par la presse, mais c'est enfin un triomphe public en Italie. C'est un splendide travail plastique, bénéficiant d'un usage révolutionnaire de la couleur et d'une reconstitution historique incroyablement réussie. Les excellents acteurs, Alida Valli en tête, donnent vie à ce drame du dix-neuvième siècle sur lequel souffle l'esprit des romans de Stendhal. Malheureusement, la censure exigera, pour des raisons purement politiques, des changements dans le montage, ce qui rend l'intrigue confuse. Certains reprocheront déjà à Visconti de se détourner du réel, de ne pas filmer son époque.  Pourtant, dans ses films, il cherche surtout à trouver les racines des problèmes de l'Italie contemporaine dans son histoire.

Puis, il rentre à la Scala de Milan, où il met en scène de nombreux opéras avec  Maria Calas. Il monte encore de nombreuses pièces de théâtres et s'implique dans des spectacles de danse.

En 1956, il signe un texte contestant l'invasion de la Hongrie par les chars soviétiques. En 1957, il réalise Nuits blanches d'après Dostoïevski, monté indépendamment des grandes compagnies italiennes, film à l'ambiance à la fois onirique et urbaine. On y croise Jean Marais et aussi le jeune Marcello Mastroianni avant sa rencontre avec Fellini. Ce conte désenchanté et romantique, remarquablement mis en valeur par de superbes décors et éclairages, est une assez belle réussite. Mais l'accueil est encore assez mitigé, et on reproche à Visconti de trop mélanger théâtre et cinéma, et de ne pas s'intéresser à des sujets "importants".

Visconti travaille encore pour le théâtre et l'opéra en Italie et en Angleterre. En 1960, il tourne Rocco et ses frères, mélange de tragédie et de néo-réalisme où apparaissent les jeunes Alain Delon et Annie Girardot. Ce film très violent fait scandale, et est hué à Venise. Visconti doit se battre pour que son film ne soit pas coupé par la censure. Il aura inauguré le néo-réalisme avec Les amants diaboliques. Il en signe les dernières funérailles avec Rocco et ses frères. Cette oeuvre (superbe, évidemment...) connaît un vrai succès public, notamment aux Etats-Unis.

(Note : malheureusement, la version la plus courante en France, notamment en vidéo, en DVD et à la télévision, est un montage lourdement censuré et maladroitement raccourci. Il ne manque que quelques minutes, mais ce sont des moments décisifs, comme le viol et la bagarre qui s'en suit, ou le meurtre de Nadia, qui ont été scandaleusement raccourcis, affadissant l'impact de ces scènes clés, et donnant une impression de maladresse technique. De même le découpage du film en chapitres correspondant à chaque frère est parfois supprimé, ce qui rend la narration confuse. Il est tout de même scandaleux que cette oeuvre majeure du cinéma mondiale soit présentée en l'an 2000 dans une version aussi mutilée. Si vous n'avez vu que cette version, vous n'avez hélas pas vu Rocco et ses frères. Toutefois la chaîne franco-allemande Arte a diffusé ce film en 1996 et 2000 la version complète du film. A ma connaissance, les DVD publiés pour le moment sont ou scandaleusement coupées (France) ou légèrement incomplets (USA et Grande-Bretagne)).

Il subit aussi des problèmes de censure au théâtre en Italie. Il part donc travailler en France, où il monte Dommage qu'elle soit une putain avec Romy Schneider et Alain Delon. Il réalise le sketch Le travail dans le film Boccace 70, en 1962, où il permet  à Romy Schneider de commencer sa carrière adulte, loin de Sissi. A ses côtés, on trouve aussi Thomas Milian, qui allait devenir une vedette du western italien. Cette peinture précise et méchante d'un couple de grands bourgeois est extrêmement réussie. C'est, de loin, le meilleur des films courts de Visconti.

Il passe deux années à réaliser Le guépard qui sort en 1963. Il conclut ainsi sa trilogie sur le sud de l'Italie (amorcée par La terre tremble et Rocco et ses frères) et obtient la Palme d'or à Cannes. Il y analyse l'échec d'une révolution. On le taxe de pessimisme et d'académisme. En fait, Visconti y révèle une grande lucidité politique. Le film est un succès phénoménal particulièrement en France, où il restera toujours très populaire. Il lance la carrière européenne de Burt Lancaster, qui travaillera ensuite avec Bernardo Bertolucci ou Louis Malle.

(Note : le montage français du film Le guépard est légèrement plus court que celui de la version italienne. Néanmoins, les coupes sont discrètes et peu gênantes.)

En 1964, il réalise Sandra, transposition réussie de la tragédie antique dans le monde contemporain. Jean Sorel et Claudia Cardinale y sont extraordinaires. Ce film aura moins eu le mérite de rassurer certains critiques, déçus par le Visconti réalisateur de films populaires, qui s'inquiétaient de ne plus retrouver l'expérimentateur-théoricien de Les amants diaboliques ou La terre tremble. Sous des apparences évoquant Antonioni et sa jet-set mélancolique, ainsi que le noir et blanc mystérieux du giallo fondateur La fille qui en savait trop (1963) de Mario Bava, Visconti propose pourtant une de ses histoires de famille, sur laquelle pèse lourdement le poids d'un passé obscure.

Visconti se consacre encore abondamment au théâtre et à l'opéra. Il mène désormais une carrière internationale de metteur en scène. En 1967, il réalise L'étranger avec Mastroianni, d'après Albert Camus, considéré comme décevant à sa sortie. Visconti reprochera aux héritiers de Camus de ne pas lui avoir laissé assez de marge de manœuvre dans son travail d'adaptation. Il aurait voulu transcrire le récit dans l'Algérie de la guerre d'indépendance. C'est certainement le film le plus "maudit" de Visconti. Unanimement démoli par la critique, y compris les plus fervents défenseurs de son réalisateur, il est en plus devenu très difficile à voir pour des raisons légales. On ne peut le visionner qu'à de rares rétrospectives exceptionnelles, ou se le procurer que sous la forme de cassettes plus ou moins pirates, à des prix souvent prohibitifs. Il y a pourtant des séquences réussies (la veillée funèbre, la dispute avec le prêtre...), et les accusations souvent portées contre l'interprétation de Mastroianni (y compris par Visconti) paraissent bien injustes.

La même année, il tourne le sketch La sorcière brûlée vive pour le film Les sorcières, consacrée par le producteur Dino de Laurentis à son épouse-actrice Silvana Mangano. On impose une durée limitée à 30 minutes à Visconti, et le résultat est un peu décevant.

Visconti accueille les événements de 1968 avec méfiance. A partir de ce moment, il se consacre essentiellement au cinéma. Il craint un retour du fascisme. Il fait connaissance avec le jeune comédien autrichien Helmut Berger. Il réalise alors sa trilogie allemande (Les damnés, Mort à Venise, Ludwig) qui analyse l'évolution de l'Allemagne de 1a seconde moitié du dix-neuvième siècle à 1933.

En 1969, il réalise Les damnés, l'histoire d'une famille d'industriels corrompue et détruite par l'appétit de pouvoir et le nazisme. Ce film se distingue notamment par un travail magistral sur la photographie, Visconti créant un équivalent en couleur au cinéma expressionniste allemand.  Encore une fois, on pense aux éclairages fantastiques de Bava (Six femmes pour l'assassin (1964)...). Malgré (ou grâce à) certains de ses aspects scandaleux, c'est encore un beau succès en Italie.

Pourtant, il a quand même des difficultés à monter le financement de Mort à Venise, qu'il finit par le réaliser en 1971. Cette adaptation de Thomas Mann, que Visconti a toujours adoré, sur fond de musique de Mahler, est encore un succès, bien que l'accueil critique ait été assez tiède. Dirk Bogarde y tient le rôle de sa vie. Aujourd'hui encore, il reste, avec Le guépard, l'oeuvre la plus populaire de Visconti, et suscite toujours l'admiration des nombreux jeunes spectateurs qui le découvrent. Visconti réalise aussi A la recherche de Tadzio, un documentaire pour la télévision italienne, qui restitue le casting pour le rôle de Tadzio et les repérages de Mort à Venise.

Puis Visconti envisage d'adapter A la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Mais il se consacre d'abord à Ludwig, biographie cinématographique du roi Louis II de Bavière. Cette longue et superbe fresque de quatre heures, d'une intelligence sidérante, est, dans sa version intégrale, un long et douloureux récit, baignant dans une ambiance d'échec et de deuil. Romy Schneider y retrouve le rôle de l'impératrice Elizabeth D'Autriche. Helmut Berger y est bouleversant.

Mais, à la fin du tournage, Visconti est victime d'une attaque cérébrale. Il y survit, mais reste en partie paralysé. Pendant sa convalescence, les producteurs sortent des versions amputés de Ludwig en 1973 ( 3 heures en France, 2 heures en Allemagne... ). En 1983, le film ressortira en version intégrale en France.

(Note : On notera que la version diffusée assez souvent par Arte en allemand (ce qui vaut mieux que l'italien, l'anglais ou le français pour ce film) contient des passages qui n'apparaissent pas toujours dans les autres versions longues du film (flash forward sur la mort de Sissi, et Sophie chantant du Wagner: toutefois ces ajouts rendent plutôt le film confus). On remarque aussi que la bande son de la version d'Arte contient moins de musique que la version française. Par contre, sur Arte, le cadrage est grossièrement modifié : on passe du 2.35 original à du 1.85)

En 1975, il réalise grâce au soutien de collaborateurs fidèles ( les acteurs Burt Lancaster, Claudia Cardinale, Helmut Berger, la scénariste Suso Cecchi D'amico... ), le splendide film Violence et passion. Il y dénonce la menace d'un coup d'État d'extrême-droite en Italie: des attentats attribués à l'extrême-gauche seraient en fait téléguidés par des fascistes qui veulent préparer le terrain pour un coup d'État. Certains accusent Visconti de paranoïa. Vingt ans plus tard, il sera prouvé devant les tribunaux qu'un tel réseau a réellement existé.

Visconti chute dans son appartement. Il est presque complètement paralysé. Pourtant, il réalise encore L'innocent d'après le livre de D'Annunzio, dans lequel il tourne en dérision la notion de surhomme. Mais ce sujet ne l'intéresse pas beaucoup, et le film est un peu ennuyeux. Il aurait préféré faire La montagne magique d'après Thomas Mann, pour lequel les noms des acteurs Helmut Berger et Dirk Bogarde sont évoqués.

Le 17 mars 1976, il meurt à Rome, peu avant la première de L'innocent à Cannes.

 

visconti101.JPG (82289 octets)
Luchino Visconti dans le château de Neuschwanstein en Bavière, pendant le tournage de "Ludwig" en 1972

 

Pour retourner au menu Luchino Visconti.