1963: Il gattopardo (Le guépard)


Tancrède (Alain Delon), blessé lors de la prise de Palerme

Ce recueil de textes est extrait du Dossier de presse de la filmographie viscontienne, paru dans la revue Cinéma 76, numéro 211.

"    Ce que j'ai voulu conter, c'est l'histoire d'un homme et la déchéance d'une société à travers la
conscience qu'il en avait, ceci dans une ambiance historique bien déterminée."

Luchino Visconti

    Il s'agit avant tout d'une ample fresque sociale qui décrit la Sicile, et par contre coup toute l'Italie, au moment de la proclamation de l'indépendance et de l'unité du pays, en 1860. En ce sens le Guépard est le second volet d'un diptyque dont Senso constitue la première partie. Le thème de la disparition d'une société est au centre des deux films, plus exactement l'effacement d'une classe, l'aristocratie, au milieu d'une société en pleine transformation politique et économique.

(Marcel Martin. Les Lettres françaises)


     D'abord le désir de mort du Prince s'identifiera à la plus profonde aspiration de la Sicile. Mais peu-à-peu la vulgarité bourgeoise, la décadence aristocratique et l'outrecuidance des militaires fraîchement empanachés vont l'agacer: son désir de mort se transformera en conscience du néant. L'éternité et le devenir ne sont pas assimilables: la terre est le lieu des changements et les yeux du Prince se tournent vers l'au-delà; il cherchera désormais "autre chose" comme le faisait déjà l'Espagnol d'Ossessione.

(Yves Guillaume. Visconti)


     Admirable Visconti qui a su faire exprimer par un comédien, il est vrai d'une intelligence et d'une sensibilité extrêmes, Burt Lancaster, les secrets de l'homme vieillissant. Il s en va, Visconti, et nous partons avec lui.

(Claude Mauriac. Le Figaro Littéraire)


     On attendait l'œuvre de combat, on a l'œuvre de refuge. S'il ne s'agit point ici de Visconti guerrier, mais de Visconti rêveur, comment ne serait-elle pas "négative" cette réflexion nostalgique sur la jeunesse et le bonheur, et sur une forme de faiblesse qui se pare d'oripeaux splendides.

(J.A. Fieschi. Cahiers du Cinéma n°146)


     Tandis que dans Senso, Visconti prend ses distances par rapport à un personnage principal directement impliqué dans l'action, dans le Guépard, il s'identifie apparemment à un personnage central qui est lui-même aussi détaché que cela est humainement possible des événements.

(Geoffrey Nowell-Smith. La Revue du Cinéma n°237)


     Sous le pinceau vraiment magique de Visconti (et de son opérateur Rotunno) émerge ainsi cette Sicile somnolente et voluptueuse, avec ses panoramas implacablement lumineux et ses âpres paysages de westerns, avec les intérieurs chargés et accueillants des vieux palais; avec aussi les boucheries de la guerre révolutionnaire qui cachent, pour un moment, les petites rues puantes des quartiers populeux... Visconti en répandant dans le très long bal des trésors de subtilité et de malice, ne réussit pas toujours à se soustraire au fastueux, au gratuit, qui n'ont jamais manqué dans son tempérament, mais qu'à présent la possibilité d'un spectacle monstre, à lui offert par le cinéma ultra-capitaliste de notre temps, a justement porté au maximum - "justement", on le comprend, de la part d'un tel cinéma, qui vise à gagner, avant toute chose, les marchés étrangers.

(Ugo Casiraghi. Article paru dans l'Unità de Milan (quotidien du Parti Communiste) et reproduit dans "Cinéma 63" n°79)


     Tout comme A la recherche du temps perdu prend sa signification et culmine dans l'épisode de la réception chez la princesse de Guermantes (le Temps retrouvé), c'est la scène finale au Palais Pantoleone qui donne au Guépard, dans le temps, sa véritable dimension. Chez Visconti comme chez Proust, c'est là que la société aristocratique voit s'infiltrer dans son sein les éléments de la bourgeoisie ambitieuse qui brûle de la supplanter. C'est là que l'on retrouve, caricaturés et avilis (comme Tancrède qui révèle soudain sa véritable nature), tous les personnages sur lesquels le Temps vient poser sa marque. C'est là que le prince comme le narrateur de A Ia recherche... découvre l'action destructrice du temps et, devant un tableau de Greuze (qui joue dans le Guépard le même rôle révélateur que le vieillissement caricatural de tous les personnages de Proust), se trouve confronté à propre mort.

(Jean-paul Torok. Cinéma 63, n°79)


     Le malentendu du Guépard est là: Visconti a prétendu faire œuvre historique. Mais suivant Lampedusa (sauf pour les ajouts et les scènes négligées), se pliant à sa rêverie où l'Histoire est tout au plus un prétexte et un décor, il gauchit ce que nous appelions sa problématique réaliste.

(Bernard Dort. Études Cinématographiques n°26-27)


     Voilà donc, en un seul bouquet, le Chateaubriand des Mémoires et le Stendhal des Chroniques dans un film magnificent et munificent, qui n'emprunte qu'un brin de sa trame à un admirable auteur, mais constitue ce que Visconti nous lègue de plus parfait, de moins lointain, de moins distant, et, en même temps, peut-être de moins fraternel.

(Michel Mesnil. Études Cinématographiques n°26-27)


     C'est également au niveau de la construction qu'il faut chercher la clef de l'utilisation de la couleur. Certes, certains plans constituent des réussites exemplaires (le feu d'artifice tricolore qui apparaît derrière le Prince Salina, le départ de l'envoyé du Gouvernement qui s'est entretenu avec le Prince), mais l'essentiel n'est pas là. Dans le Guépard la couleur naît de l'intérieur. Elle ne cherche pas à singer un quelconque baroquisme pictural, mais rend compte de la splendeur profonde d'un monde qui jette ses derniers feux.

(René Briot Études Cinématographiques n°26-27)

 
 

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