Harmonie, alliances et lutte des classes dans
Ce document décrivant les forces en présence dans le film "Le guépard" m'a été aimablement transmis par Rabah Aït-Hamadouche, son auteur. Il est accompagné d'un petit texte de Manu, présentant rapidement la lutte des classes dans ce film.
Copyrights 2000 Rabah Aït-Hamadouche
"Pour commencer, rappelons que Visconti était attaché aux idées communistes depuis 1936 et le front populaire (il travailla sur les films de Jean Renoir) alors que son milieu de naissance (aristocratie italienne) ne l'y destinait pas.
Dans Le guépard, il disait vouloir étudier les raisons d'une révolution ratée. C'est à dire qu'il considérait le risorgimento italien comme une révolution qui n'a rien changé en Italie, qui n'a pas aidé le sud de l'Italie à se développer. On lui a alors reproché d'avoir fait un film pessimiste, qui en montrant une révolution qui échoue, s'opposerait à l'idée de révolution. En gros on lui reprochait d'être un "mauvais communiste"; Visconti répliquait alors qu'il cherchait juste à montrer les erreurs commises dans le passé pour qu'elles ne se reproduisent plus.
La phrase essentielle du film est prononcée par Tancrède (Alain Delon) dès le début du film. Son oncle, le prince Salina (Burt lancaster) s'oppose à son idée d'aller combattre avec Garibaldi, de participer à cette révolution qui semble aller contre les intérêts de la classe dominante, les aristocrates siciliens. Son neveu lui explique :
"Il faut que tout change pour que tout puisse rester comme avant "
Cette phrase paradoxale est la clé du film au niveau de la lutte des classes. En 1860, un nouveau roi (Victor-Emmanuel) va en remplacer un ancien (François II). Et alors? Si l'ancienne classe sait se mettre du côté du vainqueur au moment opportun, elle pourra continuer à régner, ou au moins ne pas être détruite par cette révolution. Donc Tancrède participe à la révolution avec les garibaldiens. Il devient ainsi un personnage respecté parmi les révolutionnaires qui sont rapidement victorieux.
Parallèlement à cette révolution, des opportunistes profitent de ces troubles pour s'enrichir. On a ainsi le personnage clé de Don Calogero, maire du village de Donnafugata qui représente une nouvelle bourgeoisie émergente. Il profite des troubles pour racheter des terres à bas prix. Il devient riche. Sa fille Angelica (Claudia Cardinale) rencontre Tancrède. Ils tombent amoureux et décident de se marier. Ce mariage va arranger le prince Salina et Don Calogero.
Désormais, le mariage de raison (l'alliance) entre la vieille noblesse
sicilienne ruinée mais respectable et la nouvelle bourgeoisie riche, vulgaire et
arriviste peut se faire. Aux dépends du peuple et de ses
intérêts. Les idéaux révolutionnaires garibaldiens sont sacrifiés: les derniers
partisans des chemises rouges de Garibaldi sont tués par l'armée régulière de Victor
Emmanuel, qui a pourtant gagné la guerre grâce à eux.
L'alliance entre le Chacal et le Guépard.
Le baiser du prince Salina (Burt Lancaster) à don Calogerro (Paolo Stoppa) scelle le
contrat de mariage entre Tancrède et Angelica.
La fin du film présente le fameux bal. Ce bal montre le nouvel ordre social en train de se composer. Ce bal est organisé par des aristocrates (les Pontaleone).
- Ils y reçoivent le fine fleur de l'aristocratie sicilienne, comme "avant " l'arrivé de la nouvelle Italie. Mais ils accueillent aussi avec faste :
- La nouvelle bourgeoisie qui s'est élevée en profitant de la révolution (Don Calogero et sa fille).
- L'armée régulière du nouveau roi Victor Emmanuel. De nombreux militaires en tenue
d'apparat sont interrogés avec curiosité et admiration. Ils représentent l'ordre qui
revient après les troubles
garibaldiens.
La fameuse scène du bal montre la fusion entre ces trois classes qui s'ignoraient et qui vont se mélanger lors des danses pour créer une nouvelle harmonie à la fois plastique (la splendeur des scènes filmées par Visconti) et politique.
Le perdant est bien entendu le peuple des travailleurs siciliens dont la condition n'a pas été changée par cette révolution à laquelle il a pourtant participé. Il continue à travailler laborieusement les terres des propriétaires et à vivre dans la misère crasseuse à quelques pas du palais du prince Salina.
Cette révolution aurait pu être une opportunité de changer les conditions de vie misérables de la population. Mais cela n'aura pas lieu. Et la misère des méridionaux italiens continuera comme le montrera Visconti dans La terre tremble (1948) qui dénonce la misère des pêcheurs d'Aci Trezza (près de Syracuse). En 1960, il fait aussi Rocco et ses frères où des paysans méridionaux, poussés par la pauvreté viennent s'installer dans une grande ville industrielle du nord.
Emmanuel Denis"
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