"Je voterai comme j'ai toujours voté pour la liste communiste"

Cet entretien de a d'abord été publié en italien dans L'Unita du 11 avril 1963. Puis il a été publié partiellement en français dans le numéro 79 de la revue Cinéma 63, en septembre-octobre 1963. C'est cette traduction qui est reproduite ici.  Luchino Visconti est interviewé par Paolo Spriano. La traduction est de Paul-Louis Thirard.


Quatrième de couverture de "Cinéma 63" n°79, septembre-octobre 1963. Illustration: le prince Salina (Burt Lancaster) à la chasse.


"    Paolo Spriano interroge Visconti. "Je voterai comme j'ai toujours voté pour la liste communiste". ("L'Unita", 11 avril 1963).

    La thèse fondamentale de ton dernier film, LE GUEPARD, a appelé l'attention de toute la critique. une telle thèse tourne autour d'un jugement historique précis sur le développement historique de la société italienne depuis le Risorgimento. Veux-tu nous dire quelque chose là-dessus?
    C'est vrai. La maxime réactionnaire du prince Tancrède, "il faut que quelque chose change pour que tout reste pareil", court comme un fil rouge tout au long de mon film. Je ne le nierai pas: en travaillant à l'adaptation du roman de Tomasi Di Lampedusa, puis en tournant le film, j'ai pensé, non seulement au passé, mais aussi au présent de notre pays. Je pense qu'il y a une brûlante actualité dons l'avertissement que, malgré quelques modernisations, tout reste comme avant comme il advint au lendemain de l'entreprise des Mille. Le thème du "transformisme" comme mal historique italien, de ce ''transformisme'' qui a réussi, dans les grands virages d'un siècle entier, à absorber et à déformer les aspirations populaires vers la liberté, est un thème qui est constamment rappelé dans presque tous mes films. C'est pourquoi l'on parle de mon pessimisme. Je me permets d'expliquer qu'il s'agit d'une recherche critique et interprétative des raisons de la "révolution trahie", d'un choix conséquent. Mon point de vue n'est cependant pas celui d'une vision anarchique, comme on a voulu le faire croire. Par exemple, mon adhésion à l'action et au programme des communistes italiens est dictée par la conscience qu'en Italie s'est formée une force historique nouvelle, autonome, qui n'est pas corruptible par le transformisme, capable de travailler à dépasser ce compromis stérile et toujours présent entre la droite et la gauche qui, de Crispi à Giolitti, fini par produire le fascisme. Cette force historique neuve a ses racines dans l'unité de tous les travailleurs...


Couverture de "Cinéma 63", n°77, juin 1963. Angelica (Claudia Cardinale) au bal des Ponteleone.

    N.D.T. - Visconti suggère ici une interprétation inédite du GUEPARD: tout l'effort révolutionnaire, en Italie du moins, ne pouvait qu'être vain tant qu'il n'existait pas le Parti Communiste, seul capable d'échapper aux pièges de l'enlisement réformiste, qu'il appelle "transformisme".  Ensuite, avant de prendre parti chaleureusement pour la politique de coexistence pacifique, il donne son avis sur la question de la liberté de la culture. Bien qu'il ne s'agisse plus exactement du GUEPARD, nous croyons intéressant de reproduire ce passage.

    Comment vois-tu les problèmes de la liberté d'expression artistique et de la culture dont on discute tant ces jours-ci?
    Il est très important, je crois, que les communistes fassent de la défense et de la garantie de ces libertés une question de principe intransigeante. Ils l'ont du reste démontré: pas seulement dans leur constante initiative politique contre la censure en Italie, mais aussi dans les thèses théoriques de leurs Congrès, dans leurs commentaires, libres et fermes sur les récents débats soviétiques a propos de la direction culturelle en U.R.S.S. Sur ce point, si l'on me permet une parenthèse, je voudrais être très clair: mon désaccord personnel avec les thèses qui semblent avoir prévalu dans les récents débats de Moscou ne signifie pas que j'oppose à la direction culturelle soviétique ma soi-disant "liberté culturelle occidentale". Mon désaccord se situe dans cette manière dont en U.R.S.S. on insiste encore sur une conception du fait artistique limitée à ses effets pédagogiques les plus extérieurs: ainsi l'on n'avance pas avec la rapidité et la sécurité idéale, vers ces formes de liberté de recherche, concrète, sans paternalisme, sans conditions, que seule une société socialiste peut vraiment garantir, par sa nature, par sa structure même. (Visconti indique que la lutte du P.S.I. contre la censure lui semble trop entachée de compromission). Il ne s'agit pas d'avoir une censure adoucie ou sévère, selon le gouvernement en charge; il s'agit d'abolir la censure... Il ne faut pas perdre de vue que la lutte doit être menée contre les véritables ennemis de la liberté de l'art et de la culture: l'obscurantisme clérical et' le conformisme bourgeois, même quand ils se manifestent comme des réflexes passifs ou comme des préjugés inconscients dans le goût des masses populaires."
 

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